ENDOMÉTRIOSE ET DOULEUR CHRONIQUE : L’Approche Pluridisciplinaire Révolutionnaire et le Rôle Scientifique du Kinésithérapeute
Les douleurs pelviennes chroniques associées à l’endométriose sont complexes, touchant une grande partie des femmes atteintes (environ 40 % de celles rapportant des douleurs pelviennes chroniques). Récemment, un consensus formalisé d’experts a été élaboré sous l’égide du CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) et de Convergences PP (Convergences in Pelviperineal Pain), avec la participation notable du Collège de la Masso-Kinésithérapie (CMK).
Ce consensus marque une étape cruciale : il centre la prise en charge sur le symptôme, la douleur, plutôt que uniquement sur la lésion anatomique. Cette nouvelle perspective impose aux kinésithérapeutes, acteurs essentiels de la pluridisciplinarité, d’intégrer des concepts avancés d’évaluation et de gestion de la douleur chronique.
L’Évaluation de la Douleur : Discerner les Mécanismes
La kinésithérapie ne peut être efficace que si elle cible le bon mécanisme douloureux. Les recommandations insistent pour évaluer non seulement l’intensité, la fréquence et la durée des douleurs (crises aiguës et douleurs de fond chroniques), mais surtout la composante physiopathologique.
Détecter la Sensibilisation Centrale
L’un des défis majeurs dans la prise en charge de l’endométriose est l’identification de la sensibilisation centrale, ou douleur nociplastique, qui est suspectée lorsque les patientes présentent des seuils de douleur significativement modifiés.
- Quand la chercher ? Il est proposé de rechercher cette sensibilisation, notamment en cas de discordance entre la symptomatologie douloureuse (localisation, intensité) et les résultats de l’imagerie (présence ou localisation des lésions).
- Outils d’Évaluation : Pour les douleurs chroniques, l’utilisation d’un score comme le CSI (Central Sensitization Inventory) ou le Convergences-PP est proposée en pratique courante afin d’évaluer cet état de sensibilisation.
- Implication Clinique : La sensibilisation est essentielle à reconnaître, car si elle n’est pas adressée, les traitements spécifiques de l’endométriose (hormonothérapie ou chirurgie) risquent de ne pas soulager complètement la douleur. En pratique, les patientes peuvent présenter une combinaison des trois types de douleur (nociception, neuropathique et nociplastique).
Dimensions Psychiques et Fonctionnelles
L’évaluation doit également s’étendre aux différentes dimensions de la souffrance et de la qualité de vie, puisque l’anxiété, la dépression, le catastrophisme et le Syndrome de Stress Post-Traumatique (SSPT) sont des facteurs psychologiques d’entretien de la douleur. Les kinés doivent également évaluer l’impact sur la santé sexuelle (dyspareunie) et la fatigue associée.
La Kinésithérapie : Pilier de la Prise en Charge Non Médicamenteuse
La rééducation joue un rôle central dans la gestion des douleurs pelviennes chroniques, en particulier pour les troubles neuro-musculo-squelettiques souvent associés.
Indications Clés pour la Rééducation (Proposition n° 15)
L’orientation vers un rééducateur est préconisée dès que l’examen met en évidence :
- Un syndrome myofascial au niveau des muscles du bassin et du périnée.
- Des troubles de la posture ou un syndrome de la charnière thoraco-lombaire.
- Une dyspareunie (douleur pendant les rapports sexuels).
- Des troubles urinaires et digestifs.
Techniques de Rééducation et Auto-Gestion
- Approches Manuelles : Une approche en techniques manuelles est proposée pour la prise en charge rééducative des douleurs pelviennes chroniques.
- Relaxation du Plancher Pelvien : La rééducation périnéale à visée de relaxation des muscles du plancher pelvien est spécifiquement proposée pour les patientes souffrant de douleurs pelviennes chroniques ou de dyspareunie.
- Autonomisation : Les kinésithérapeutes sont encouragés à utiliser des techniques fonctionnelles cognitives actives pour autonomiser les patientes, incluant des exercices reproductibles à domicile et l’éducation thérapeutique.
Outils Antalgiques
- Neurostimulation Transcutanée (TENS) : Le TENS est proposé comme traitement antalgique de première intention pour les douleurs chroniques, seul ou en complément d’un traitement médicamenteux. Les techniques fonctionnelles cognitives actives incluent d’ailleurs le suivi de TENS.
- Activité Physique Adaptée : L’activité physique régulière, adaptée, encadrée et modérée (idéalement 3 fois par semaine, 30 à 90 minutes par séance) est fortement encouragée pour la gestion des douleurs chroniques.
- Travail respiratoire et relaxation : des alternatives possibles lorsque les douleurs sont aiguës et que les techniques manuelles deviennent difficiles à réaliser.
Le Contexte Thérapeutique (Médicamenteux et Chirurgical)
Pour le kinésithérapeute, il est essentiel de comprendre les autres volets de la prise en charge pour s’inscrire dans une démarche globale.
- Gestion Hormonale : Un traitement hormonal est conseillé comme l’un des traitements de fond de première intention des douleurs. Les options sont variées (contraceptions combinées, microprogestatifs, Diénogest) sans qu’une hiérarchie d’efficacité claire ne soit établie, le choix dépendant des patientes et des risques.
- Gestion Pharmacologique de la Sensibilisation : En cas de douleurs chroniques nociplastiques ou neuropathiques, l’introduction d’un traitement de fond (antidépresseur ou antiépileptique) est proposée. Les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (par ex., duloxétine) sont recommandés en première intention pour les douleurs neuropathiques.
- Prudence Chirurgicale : La chirurgie doit être raisonnée et justifiée. Avant toute intervention, le consensus propose le dépistage systématique des facteurs de risque de douleurs chroniques post-opératoires, tels que la sensibilisation, l’anxiété, la dépression et la consommation d’opioïdes. En cas de facteurs de risque persistants, il est proposé de reconsidérer la balance bénéfice-risque de l’intervention.
Communication et Éducation Thérapeutique : Améliorer l’Adhérence
Le consensus a dédié une section entière à la communication et à l’éducation, reconnaissant que plus de la moitié des patientes se disent insatisfaites de leur prise en charge, citant un manque d’information et un sentiment de ne pas être comprises.
Le consensus cherche à combler ce fossé en :
- Améliorant le Dialogue : Il est conseillé au professionnel de santé (incluant le kiné) d’utiliser des termes adaptés et des questions ouvertes pour vérifier la compréhension de la maladie, des traitements et l’adhérence à la prise en charge proposée.
- Intégrant l’Éducation à la Douleur : Il est proposé d’inclure une intervention d’éducation qui comprend des informations sur la pathologie et les mécanismes douloureux. L’objectif principal est de créer les bases de stratégies d’auto-gestion et d’améliorer l’adhérence au traitement.
- Résultats de l’Éducation : Les preuves scientifiques, bien que récentes dans l’endométriose, montrent que l’éducation à la douleur, surtout intégrée à un programme multimodal, a des effets positifs sur l’intensité de la douleur, la qualité de vie et la réduction du recours aux soins.
Ce formalisme vise à créer un meilleur dialogue inter-disciplinaire et à promouvoir un meilleur bilan initial et suivi des douleurs pelviennes chroniques, grâce à une meilleure caractérisation des douleurs et une prise en charge thérapeutique optimisée.
SSK Formation propose une formation complète sur la prise en charge de l’endométriose, dispensée par Elisabeth Perrin, intégrant les dernières avancées du consensus formalisé pour une pratique kinésithérapique actualisée et efficace.
Références Scientifiques du Consensus
- Titre : Douleurs pelviennes associées à l’endométriose, conseils pour la pratique clinique. Un consensus formalisé d’experts par le CNGOF & Convergences PP.
- Auteurs Principaux : Xavier Fritel, Nathalie Chabbert-Buffet, Thierry Brillac, Alexandre Bailleul, Sessi Acapo, Eric Bautrant, Estelle Calvarin, Michel Canis, Christine Chalut-Natal, Martine Cornillet-Bernard, Emeline Garcia, Chloé Lacoste, Anna Ponomareva, Jean-Marc Sabaté, Priscilla Saracco, Agnès Suc, Sophie Tyson, Arnaud Fauconnier, Amélie Levesque. (Note : Martine Cornillet-Bernard est mentionnée pour le Collège de la Masso-Kinésithérapie).
- Source/Journal : Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie.
- Méthode : Consensus d’experts formalisé (selon la méthode HAS adaptée par le CNGOF).
- Date de publication (en ligne) : 2025 (Reçu le 2 juin 2025, Accepté le 5 juin 2025).
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