Pubalgie chez le Footballeur : Les Stratégies Incontournables du Kinésithérapeute pour une Rééducation Gagnante !
La pubalgie est un terme générique qui regroupe différentes causes de douleurs de la région pubienne, touchant fréquemment les sportifs, en particulier les footballeurs. Selon le consensus de Doha, ces étiologies sont classées en quatre grands groupes : les adducteurs (dont la tendinopathie du long adducteur), la région de l’anneau inguinal, le psoas et la symphyse pubienne. Représentant jusqu’à 15 % des blessures sportives et une part importante des douleurs inguinales, cette pathologie peut entraîner des absences prolongées et un risque de récidive élevé. Pour les kinésithérapeutes du sport, une prise en charge fondée sur les preuves scientifiques est indispensable pour optimiser la rééducation et favoriser un retour au jeu durable.
Sommaire
- Comprendre la Pubalgie : Au-delà de la Douleur
- Diagnostic et Évaluation pour le Kinésithérapeute
- Stratégies de Rééducation Fondées sur les Preuves (Traitement Conservateur)
- Quand envisager la chirurgie ?
- En Conclusion
Comprendre la Pubalgie : Au-delà de la Douleur
La douleur liée aux adducteurs (adductor-related groin pain) est la forme la plus fréquente de douleur inguinale chez les athlètes, en particulier ceux qui pratiquent des sports nécessitant des mouvements de coup de pied, des pivots fréquents, ou des changements de direction rapides, comme le football, le hockey et le rugby.
Anatomie complexe et controverses
Historiquement, une continuité entre le fascia du muscle droit de l’abdomen (RA) et le tendon du long adducteur (AL) était supposée, les considérant comme une paire de muscles s’équilibrant au niveau du pubis. Cependant, des études plus récentes ont démontré qu’il n’y a pas de continuité directe. Le tendon du long adducteur s’insère postérieurement dans l’os pubien via un fibrocartilage et est connecté antérieurement au ligament pubien antérieur (APL). Ce ligament est également l’insertion distale du muscle pyramidalis, formant ainsi le Complexe Pyramidalis-Ligament Pubien Antérieur-Long Adducteur (PLAC). Il est également important de noter que le gracilis et l’adducteur brevis s’insèrent aussi dans l’APL, et des tendons conjoints entre ces muscles sont courants.
Physiopathologie de l’overuse
La pubalgie est principalement une tendinopathie d’insertion due à une sollicitation excessive. Deux mécanismes pathologiques sont proposés : la compression et le stress-shielding (ou blindage du stress). Le stress-shielding suggère que la partie superficielle du tendon supporte une charge plus élevée, « protégeant » la partie profonde du stimulus mécanique. Cette compréhension éclaire les protocoles de prévention des blessures et les techniques chirurgicales partielles. Les forces sur l’adducteur sont maximales lors de la phase de balancement du coup de pied, en particulier entre 30% et 45% de cette phase, lorsque le muscle s’étire le plus rapidement tout en étant le plus actif excentriquement.
Facteurs de risque identifiés
- Déséquilibre de force : Une réduction de la force des adducteurs et des abducteurs de la hanche est un facteur de risque majeur. Les joueurs de hockey sur glace d’élite ont 17 fois plus de risques de blessure si leur force d’adducteur est inférieure ou égale à 80% de la force d’abducteur. Une faiblesse excentrique des adducteurs (<1 SD en dessous de la moyenne) est associée à un risque accru de douleur inguinale liée aux adducteurs dans le football.
- Antécédents de blessure : Une blessure inguinale antérieure double le risque de nouvelle blessure. Plus d’un tiers des blessures aux adducteurs sont récurrentes.
- Niveau de jeu élevé : Principalement en raison de l’intensité et du volume d’activité sportive.
- Âge et sexe : Les jeunes athlètes en croissance sont plus à risque en raison des forces croissantes sur le complexe musculo-tendineux-osseux des adducteurs. La pathologie inguinale est plus fréquente chez les hommes, potentiellement en raison de la présence du tendon recto-gracilis.
- Charge d’entraînement : Les changements rapides de volume d’entraînement, notamment en pré-saison ou après une faible activité hors saison, sont des facteurs de risque.
Diagnostic et Évaluation pour le Kinésithérapeute
Le diagnostic précis est crucial. L’Accord de Doha (Doha Agreement Classification), élaboré par 24 experts en 2014, propose une classification basée uniquement sur l’histoire clinique et l’examen physique.
Points clés de l’évaluation
- Historique : Douleur dans la région affectée, s’aggravant à l’exercice.
- Palpation : Outil principal pour identifier la tendresse sur la zone affectée, reproduisant la douleur habituelle. Il est crucial de palper le tendon du long adducteur jusqu’à son insertion pubienne.
- Tests de résistance et d’étirement : Douleur lors des tests de résistance à l’adduction et à l’étirement des groupes musculaires affectés. Le test de compression des adducteurs isométrique (adductor squeeze) sur membres tendus est essentiel pour confirmer la douleur liée aux adducteurs.
- Évaluation de la force : Mesurer la force des adducteurs (squeeze et excentrique) est important, car un déficit de 20% est souvent observé chez les athlètes atteints. Le Copenhagen 5-second squeeze est un indicateur fiable. Des déficits de force peuvent persister même au retour au jeu.
- Imagerie : L’échographie et l’IRM peuvent être pertinentes pour les blessures des tissus mous ou l’état osseux pelvien et pubien. Cependant, les anomalies IRM sont fréquentes chez les athlètes asymptomatiques (par exemple, 100% dans une étude sur le tendon AL), ce qui souligne que l’imagerie seule ne suffit pas pour le diagnostic ou la décision de retour au jeu.
Stratégies de Rééducation Fondées sur les Preuves (Traitement Conservateur)
Le traitement conservateur est la première ligne de recommandation. Les approches basées sur l’exercice actif sont bien plus efficaces que les modalités passives.
Protocoles d’Exercice Clés
- Protocole de Hölmich : Des études randomisées contrôlées ont démontré que les programmes d’entraînement actif, notamment le protocole de Hölmich, sont significativement plus efficaces que la physiothérapie passive pour le retour au sport. 79% des athlètes ayant suivi un entraînement actif sont retournés au sport en 18,5 semaines en moyenne, contre 14% pour la physiothérapie passive. Les effets positifs durent à long terme (8-12 ans après l’étude initiale).
- Exercice d’Adduction de Copenhague (Copenhagen Adduction Exercise) : Ce protocole simple et efficace a montré une réduction de 41% de la prévalence des douleurs inguinales chez les footballeurs masculins en entraînement pré-saison et une fois par semaine en saison. Il cible la force des adducteurs, en particulier la fonction musculaire excentrique, un facteur de risque majeur. Il a aussi des bénéfices pour les abducteurs et la musculature du tronc.
Principes de Rééducation Avancés
- Approche Multimodale : Combiner la thérapie manuelle et l’exercice actif peut réduire le temps de retour au jeu.
- Renforcement Progressif : La rééducation doit cibler l’isolation des tissus lésés puis leur intégration dans des mouvements spécifiques au sport. Les programmes incluent généralement 6 à 10 exercices par séance, avec une charge progressive et un temps sous tension substantiel (par exemple, 6 à 30 secondes par répétition).
- Contrôle Intersegmentaire : Les programmes axés sur le contrôle intersegmentaire (stabilité lombo-pelvienne et coordination) se sont avérés supérieurs aux programmes axés sur la force musculaire isolée, avec des taux de retour au jeu de 73% en 9,9 semaines en moyenne.
- Exercices Pliométriques : Ils sont importants pour restaurer la coordination neuromusculaire, la rigidité articulaire et musculaire autour de la hanche et du genou, et améliorer la performance spécifique au sport.
Phases de Rééducation et Critères de Retour au Sport (RTS)
La rééducation peut être divisée en trois phases d’exercice (aigu/subaigu, conditionnement, spécifique au sport) et trois phases de RTS (retour à la participation, retour au sport, retour à la performance).
- Phase Aiguë/Subaiguë : Protection de la structure blessée, contrôle de la douleur, réduction de l’inflammation, normalisation de la flexibilité et prévention de l’inhibition musculaire. Charges légères à modérées, activation des adducteurs en isométrie avec douleur minimale ou nulle.
- Phase de Conditionnement : Chargement progressif des adducteurs pour réparer et régénérer les tissus. Utilisation de machines, exercices en décubitus latéral, exercices debout avec bandes élastiques/câbles. Accent sur les contractions lentes (concentriques, isométriques, excentriques) pour éviter la surcharge excessive.
- Phase Spécifique au Sport : Exercices dynamiques des adducteurs et abducteurs, restauration de l’endurance et de la force, de la capacité aérobie/anaérobie, et du contrôle neuromusculaire dans des mouvements imitant le sport. Intégration d’exercices pliométriques.
Critères de Retour au Sport (RTS)
- Retour à la Participation : L’athlète devrait être capable d’effectuer des exercices d’agilité, des actions maximales (accélération, décélération, torsion, virage, saut, coup de pied) sans compensation visible et avec une douleur minimale ou nulle (0-2/10) pendant et après 24-48 heures. L’objectif est d’atteindre ≥80% à 90% de la force musculaire complète.
- Retour au Sport : Progressivement réintégrer l’entraînement collectif (30 à 90 minutes), participant à 1 à 3 semaines d’entraînement complet avant la compétition. La récupération complète de la force et de la fonction est un objectif clé.
- Retour à la Performance : Peut prendre 3 à 6 mois après le retour initial au sport. Nécessite un entraînement cohérent et une compétition sans rechute majeure. Le programme de renforcement musculaire doit être poursuivi au moins 3 jours par semaine, puis réduit à une séance par semaine pour l’entretien.
Quand envisager la chirurgie ?
Environ 20% des patients ne s’améliorent pas avec la rééducation active. Pour les athlètes de haut niveau, l’IRM peut avoir une valeur pronostique, les anomalies suggérant souvent la nécessité d’une intervention chirurgicale précoce. La chirurgie est recommandée pour les athlètes présentant des symptômes persistants malgré un traitement conservateur optimal.
Deux approches chirurgicales existent : la libération complète (tenotomy) ou la libération partielle sélective du tendon du long adducteur. Les deux approches ont montré d’excellents résultats chez les athlètes de haut niveau, avec un taux de retour au niveau antérieur supérieur à 90%. Cependant, la libération partielle, associée à une rééducation active, peut accélérer le retour au sport (9 semaines en moyenne contre 12 semaines pour la libération complète). Les individus opérés peuvent généralement revenir au sport plus tôt que ceux qui suivent un traitement conservateur.
En Conclusion
La gestion de la pubalgie chez les footballeurs est complexe, mais les progrès récents et une compréhension approfondie de l’anatomie, de la physiopathologie et des approches de traitement basées sur l’évidence fournissent des outils précieux aux kinésithérapeutes. En privilégiant les programmes de renforcement actif (notamment l’exercice d’Adduction de Copenhague et le protocole de Hölmich), en mettant l’accent sur le contrôle intersegmentaire et en suivant des critères de retour au sport rigoureux, les professionnels peuvent offrir à leurs patients les meilleures chances de récupération complète et de prévention des récidives. Une évaluation continue de la douleur, de la force et de la performance est essentielle pour guider l’athlète vers un retour au jeu réussi et durable.
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Sources Scientifiques Utilisées
- Dinis, João et al. (2024). Athletes With Adductor-Related Groin Pain: A Narrative Review. Cureus. Lien vers l’article PMC
- Thorborg, Kristian. (2023). Current Clinical Concepts: Exercise and Load Management of Adductor Strains, Adductor Ruptures, and Long-Standing Adductor-Related Groin Pain. Journal of Athletic Training. Lien vers l’article PMC
- Harøy, Joar et al. (2019). The Adductor Strengthening Programme prevents groin problems among male football players: a cluster-randomised controlled trial. British Journal of Sports Medicine. Lien vers l’article Ovid
- Serafim, Thiago Teixeira et al. (2022). Return to sport after conservative versus surgical treatment for pubalgia in athletes: a systematic review. Journal of Orthopaedic Surgery and Research. Lien vers l’article PubMed
- Lahuerta-Martín, Silvia et al. (2023). The effectiveness of non-surgical interventions in athletes with groin pain: a systematic review and meta-analysis. BMC Sports Science, Medicine and Rehabilitation. Lien vers l’article BioMed Central