Comment traiter la constipation chez la femme enceinte ?
Auteur: Aurélie Araujo, Kinésithérapeute et formatrice chez SSK.
La constipation pendant la grossesse touche environs 39% des femmes dans le 1er trimestre de grossesse, 30% dans le 2ème trimestre et 20% dans le 3ème trimestre (d’après l’HAS, « Comment mieux informer les femmes enceintes ? » 2005).
D’après une revue systématique de Cochrane, cette constipation est associée à une altération de la qualité de vie et elle peut aller jusqu’à la création d’hémorroïdes.
En premier lieu, concentrons-nous sur la définition de la constipation !
La constipation correspond à l’émission de moins de 3 selles par semaine selon l’OMS.
Pour parler de constipation chronique, il faut ajouter à cette définition la présence de 2 ou plus des six symptômes ci-dessous pendant au moins 3 mois et sur au moins 25% des défécations (selon les critères de Rome IV) :
- efforts de poussée,
- selles dures ou fragmentées (échelle de Bristol 1 ou 2),
- sensation d’évacuation incomplète,
- sensation de blocage ano-rectal,
- nécessité de manœuvres digitales pour aider à l’exonération,
Donc déjà, lors de notre bilan, une patiente qui vous dit être constipée mais qui va à la selle tous les 2 jours avec une échelle de bristol à 4, vous pouvez lui annoncer une bonne nouvelle : « Vous n’êtes pas constipée !! »
C’est quoi l’échelle de bristol ?
Une classification permettant de connaitre la consistance des selles !
Pourquoi les femmes enceintes sont-elles constipées ?
D’après l’HAS, la constipation est due à un ralentissement du transit en relation avec l’imprégnation progestative.
Les hormones de la grossesse, et en particulier la progestérone, ont un effet relaxant sur les fibres de l’utérus et de l’intestin. Celui-ci permet de réduire le risque de contraction de l’utérus et donc de fausse couche, mais il provoque un ralentissement du transit qui est à l’origine de ballonnements et de la constipation.
En plus, au cours du troisième trimestre, la réduction de l’activité physique contribue également à la constipation, ainsi que la pression qu’exerce l’utérus sur les intestins.
Et aussi, la supplémentation en fer, parfois prescrite pour prévenir la carence en fer chez la femme enceinte, a tendance à provoquer un ralentissement du transit intestinal.
Et maintenant que proposer à nos patientes pour lutter contre la constipation lors de la grossesse et du post-partum ?
D’après une revue systématique de Cochrane en 2015 (« Intervention pour traiter la constipation durant la grossesse »), les interventions non pharmacologiques (changement de régime alimentaire, augmentation de la quantité d’eau et exercices) sont recommandées en priorité. En cas d’échecs ou de résultat insuffisant, un traitement pharmacologique peut être mis en place (laxatifs, suppositoires…).
Du coup, on fait quoi (je me concentre sur ce que peut proposer la kinésithérapie uniquement donc je ne développe pas le côté médical de la prise en charge ! ) ? Du coup on fait quoi concernant la prise en charge kinésithérapique ?
D’après les recommandations sorties en 2017 par la SNFGE (et d’après les recommandations européennes), on peut jouer sur les règles hygiéno-diététiques et sur le massage…
Règles hygiéno-diététiques
Il faut savoir que le niveau de preuve de la grande majorité des études est faible à modéré !
- Respecter la sensation de besoin : aller aux WC dès qu’on en ressent le besoin (généralement au réveil ou 30 minutes après le repas) → pas de réelles études mais question de bon sens. Si on attend, les matières sèches et deviennent dure. RESPECTER LE REFLEXE GASTRO-INTESTINAL
- Améliorer la position aux WC : en gros, pieds surélevés par un marche pieds et dos droit (regardez la vidéo de squatty potty qui illustre bien ce point !) → quasiment pas de littérature sur ce sujet mais comme pour le réflexe gastro-intestinal, question de bon sens !
- Augmenter l’apport en fibres : l’augmentation doit être progressive sur 2 semaines pour éviter les effets indésirables type ballonnement. Les fibres solubles ont l’air plus efficace que les insolubles (niveau de preuve II, grade de recommandation B). En tête de liste des fibres soluble : la pectine et le psyllium (on le trouve en magasin bio sous forme de flocon, ça se mélange idéalement à un yaourt ou sur une tartine. Possible dans de l’eau mais plus difficile à ingérer !)
- Tabac et alcool : ils accélèrent le transit mais comme le dit la SNFGE, on ne peut pas demander aux patients de boire et fumer pour aller mieux aux WC !!
- Aliment et boisson : étude contradictoire pour le café, ils recommandent 1 tasse de café par jour seulement. Pas de preuve d’efficacité de ces aliments : riz, fromage, viande, thé, huile d’olive… Pas d’intérêt d’augmenter la quantité hydrique sauf en cas de déshydratation. L’eau Hépar permet d’améliorer la constipation par rapport à une eau naturelle faible en minéraux.
- Activité physique : ce n’est pas vraiment elle qui améliore le transit. L’activité physique a surement un effet positif par son action sur le bien-être général. Comme ça fait partie des recommandations générales de faire du sport, conseillons-le mais pas pour traiter la constipation !
Education, rééducations et traitement physiques
Utilisé si les conseils hygiéno-diététiques ont apporté des résultats insuffisants. Manque d’étude à ce sujet ! En gros, ce thème regroupe : l’apprentissage d’une poussée adaptée (non exagérée et efficace), l’apprentissage de la position de défécation, la rééducation de la sensibilité rectale et souvent une rééducation abdominale est associée. Parfois, utilisation de techniques de relaxation.
AU NIVEAU PÉRINÉALE : travail des muscles périnéaux afin de vérifier leurs contractions mais surtout la synchronisation « poussée abdominale/relâchement des muscles périnéaux ». Intéressant surtout si biofeedback associé. Le biofeedback peut être musculaire et/ou sensitif. Le travail par BFB est recommandé après échec du traitement médical (niveau de preuve I, grade de recommandation A)
AU NIVEAU ABDOMINAL : pour récupérer un abdomen compétent, protecteur du système périnéosphinctérien. En effet, un des premiers rôles des abdo est de gérer les pressions en fonction de l’effort et de bien diriger ces pressions : vers le haut en règle générale et parfois vers le plancher pelvien (accouchement ou aide à l’exonération des selles).
Au niveau abdominal, les techniques de rééducation sont nombreuses. Le but est d’apprendre à diriger les pressions abdominales. Les techniques hypopressives sont actuellement les plus utilisées. L’auteur de ce chapitre dans les recommandations françaises parle de la rééducation proposée par Luc Guillarme : concept ABDO-MG® (ABDOminaux – Méthode Guillarme®) pour travailler sur la constipation.
APPROCHE COMPORTEMENTALE : pour retrouver la sensation de besoin, on demande au patient de se présenter aux WC 2 à 3 fois par jour (20 à 30 minutes après les repas) même en l’absence de besoin. Il est demandé au patient de réaliser le protocole défécatoire appris en séance sur une durée n’excédant pas 5 minutes.
LE MASSAGE ABDOMINALE : dans les recommandations européennes, il est abordé. Il peut avoir un effet sur la constipation mais il faudrait en normaliser sa pratique afin de le recommander.
Et les suppositoires ?
Ils peuvent être recommandés mais en cas de constipation distale uniquement (selles stagnantes dans le rectum et difficulté d’exonération). Les suppositoires d’Eductyl® (suppositoire effervescent) augmente la pression intra rectale et permet de déclencher le réflexe exonérateur. On garde du coup la physiologie défécatoire ! Ils peuvent être recommandés en première intention dans la constipation distale (Niveau I, Grade de recommandation A).
Thérapeutiques alternatives
Elles sont basées sur des essais de niveau de preuve faible avec de nombreux biais méthodologiques.
Leur recours peut être recommandé chez des patients en échec des traitements conventionnels.
- La réflexologie et le yoga n’améliore pas la constipation.
- L’hypnose et les thérapies cognitives comportementales peuvent être utilisées (d’après les canadiens !) car elles sont sûres et pour eux efficaces (efficacité relative pour les français et manque de preuve d’efficacité pour les européens : pour eux, cela améliore surtout la qualité de vie !…).
- L’acupuncture semble intéressante à court terme pour les français (faible niveau de preuve des études). Mais dans les recommandations européennes, ils jugent qu’il n’y a pas assez de preuve pour recommander son utilisation.
- L’homéopathie présente aussi un faible niveau de preuve d’efficacité bien qu’elle soit fréquemment prescrite.
- L’utilisation des plantes médicinales doit être fait avec précaution (absence d’essai de qualité). La phytothérapie chinoise améliore la constipation selon les recommandations européennes mais ils ne savent pas quelle formule est la meilleure.
SYNTHÈSE : PRISE EN CHARGE DE LA CONSTIPATION CHEZ LA FEMME ENCEINTE
La constipation dans le cadre de la grossesse est le plus souvent purement fonctionnelle, elle ne présente aucun risque pour la mère ou l’enfant.
Le traitement de cette constipation de transit repose sur l’apprentissage d’une bonne l’hygiène défécatoire (répondre à la sensation de besoin, conserver un rythme régulier des défécations, respecter une durée suffisante pour satisfaire au besoin, utilisation d’un marchepied ou toilettes « à la turque », orientation des pressions par le souffle), puis sur l’ajustement de l’apport en fibres alimentaires (de 20 à 40 g par jour) associées à un apport hydrique de 1,5 à 2 L par jour.
L’activité physique ne peut pas être spécifiquement recommandée pour lutter contre la constipation pendant la grossesse.
En cas d’échec, le choix du laxatif de première ligne n’est pas tranché. Il s’agit soit d’un laxatif osmotique (macrogol), soit d’un mucilage (psyllium), tous les deux étant sans risques et bien tolérés chez la femme enceinte.
Si la constipation est terminale (stase fécale dans le rectum, difficile à évacuer) on peut proposer ponctuellement un suppositoire exonérateur, voire des petits lavements.